Bertrand avec Raton, l'un singe et l'autre chat,
Commensaux d'un logis,
avaient un commun maître.
D'animaux malfaisants c'était un très bon plat :
Ils n'y craignaient tous deux aucun, quel qu'il pût être.
Trouvait-on quelque chose au logis de gâté,
L'on ne s'en prenait point
aux gens du voisinage:
Bertrand dérobait tout; Raton, de son côté,
Était moins attentif aux
souris qu'au fromage.
Un jour, au coin du feu, nos deux maîtres fripons
Regardaient rôtir des
marrons.
Les escroquer était une très bonne affaire;
Nos galands y voyaient double profit à faire:
Leur bien premièrement, et puis le mal d'autrui.
Bertrand dit à Raton: « Frère, il faut aujourd'hui
Que tu fasses un coup
de maître,
Tire-moi ces marrons. Si Dieu m'avait fait naître
Propre à
tirer marrons du feu,
Certes marrons verraient beau jeu. »
Aussitôt fait
que dit: Raton, avec sa patte,
D'une manière délicate,
Écarte un peu la
cendre, et retire les doigts;
Puis les reporte à plusieurs fois;
Tire un marron, puis deux, et puis trois en escroque:
Et cependant Bertrand les croque.
Une servante vient: adieu mes gens,Raton
N'était pas content, ce
dit-on.
Aussi ne le sont pas la plupart de ces princes
Qui, flattés d'un pareil
emploi,
Vont s'échauder en des
provinces
Pour le profit de quelque roi.
Livre IX, Fable XVI
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