Un jour deux pèlerins sur le sable rencontrent
Une huître, que le flot
y venait d'apporter:
Ils l'avalent des yeux, du doigt ils se la montrent;
A l'égard de la dent il fallut contester.
L'un se baissait déjà pour amasser la proie;
L'autre le pousse, et dit: « Il est bon de savoir
Qui de nous en aura la
joie.
Celui qui le premier a pu l'apercevoir
En sera le gobeur ; l'autre le
verra faire.
- Si par là l'on juge l'affaire,
Reprit son compagnon, j'ai l'œil bon,
Dieu merci.
- Je ne l'ai pas mauvais aussi,
Dit l'autre; et je l'ai vue avant vous,
sur ma vie.
- Eh bien! vous l'avez vue; et moi je l'ai sentie. »
Pendant tout ce bel
incident,
Perrin Dandin arrive : ils le prennent pour juge.
Perrin, fort gravement, ouvre l'huître, et la gruge,
Nos deux messieurs
le regardant.
Ce repas fait, il dit d'un ton de président:
« Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille
Sans dépens, et qu'en
paix chacun chez soi s'en aille. »
Mettez ce qu'il en coûte à plaider aujourd'hui;
Comptez ce qu'il en reste à beaucoup de familles,
Vous verrez que Perrin
tire l'argent à lui,
Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les
quilles.
Livre IX, Fable IX
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