Jean de la Fontaine
Une fable au hasard


 
Rien de trop

Je ne vois point de créature
          Se comporter modérément.
          Il est certain tempérament
          Que le maître de la nature
Veut que l'on garde en tout. Le fait-on? nullement.
Soit en bien, soit en mal, cela n'arrive guère.
Le blé, riche présent de la blonde Cérès,
Trop touffu bien souvent, épuise les guérets :
En superfluités s'épandant d'ordinaire,
          Et poussant trop abondamment,
          Il ôte à son fruit l'aliment.
L'arbre n'en fait pas moins : tant le luxe sait plaire!
Pour corriger le blé, Dieu permit aux moutons
De retrancher l'excès des prodigues moissons :
          Tout au travers ils se jetèrent,
          Gâtèrent tout, et tout broutèrent;
          Tant que le Ciel permit aux loups
D'en croquer quelques-uns : ils les croquèrent tous;
S'ils ne le firent pas, du moins ils y tâchèrent.
          Puis le Ciel permit aux humains
De punir ces derniers: les humains abusèrent
          A leur tour des ordres divins.
De tous les animaux, l'homme a le plus de pente
          A se porter dedans l'excès.
          Il faudrait faire le procès
Aux petits comme aux grands. Il n'est âme vivante
Qui ne pêche en ceci. Rien de trop est un point
Dont on parle sans cesse, et qu'on n'observe point.

Livre IX, Fable XI

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