Rien ne pèse tant qu'un secret:
Le porter loin est
difficile aux dames;
Et je sais même sur ce
fait
Bon nombre d'hommes qui
sont femmes.
Pour éprouver la sienne un mari s'écria,
La nuit, étant près d'elle : « O Dieux! qu'est-ce cela?
Je n'en puis plus! on me
déchire!
Quoi? j'accouche d'un œuf! - D'un œuf! - Oui, le voilà,
Frais et nouveau pondu. Gardez bien de le dire
On m'appellerait poule; enfin n'en parlez pas. »
La femme, neuve sur ce
cas,
Ainsi que sur mainte
autre affaire,
Crut la chose, et promit ses grands dieux de se taire.
Mais ce serment
s'évanouit
Avec les ombres de la
nuit.
L'épouse, indiscrète et
peu fine,
Sort du lit quand le jour fut à peine levé;
Et de courir chez sa
voisine.
« Ma commère, dit-elle, un cas est arrivé;
N'en dites rien surtout, car vous me feriez battre :
Mon mari vient de pondre un œuf gros comme quatre.
Au nom de Dieu,
gardez-vous bien
D'aller publier ce
mystère.
- Vous moquez-vous? dit l'autre: ah! vous ne savez guère -
Quelle je suis. Allez, ne
craignez rien. »
La femme du pondeur s'en retourne chez elle.
L'autre grille déjà de conter la nouvelle;
Elle va la répandre en plus de dix endroits;
Au lieu d'un œuf, elle en
dit trois.
Ce n'est pas encor tout; car une autre commère
En dit quatre, et raconte à l'oreille le fait:
Précaution peu
nécessaire,
Car ce n'était plus un
secret.
Comme le nombre d'œufs, grâce à la renommée,
De bouche en bouche
allait croissant, ~
Avant la fin de la
journée
Ils se montaient à plus
d'un cent.
Livre VIII, Fable VI
|