Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde,
On a souvent besoin d'un plus petit que soi.
De cette vérité deux fables feront foi,
Tant la chose en preuves
abonde.
Entre les pattes
d'un lion
Un rat sortit de terre assez à l'étourdie.
Le roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu'il était, et lui donna la vie.
Ce bienfait ne fut pas
perdu.
Quelqu'un aurait-il
jamais cru
Qu'un lion d'un rat eût
affaire ?
Cependant il avint qu'au sortir des forêts
Ce lion fut pris dans des
rets ,
Dont ses rugissements ne le purent défaire.
Sire rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage.
Patience et
longueur de temps
Font plus que force ni
que rage.
L'autre exemple est tiré d'animaux plus petits.
Le long d'un clair ruisseau buvait une colombe,
Quand sur l'eau se penchant une fourmis y tombe
Et dans cet océan l'on eût vu la fourmi
S'efforcer, mais en vain, de regagner la rive.
La colombe aussitôt usa de charité:
Un brin d'herbe dans l'eau par elle étant jeté,
Ce fut un promontoire où la fourmis arrive.
Elle se sauve; et
là-dessus
Passe un certain croquant qui marchait les pieds nus
Ce croquant, par hasard, avait une arbalète.
Dès qu'il voit l'oiseau
de Vénus,
Il le croit en son pot, et déjà lui fait fête.
Tandis qu'à le tuer mon villageois s'apprête,
La fourmi le pique au
talon.
Le vilain retourne la
tête :
La colombe l'entend, part, et tire de long.
Le soupé du croquant avec elle s'envole:
Point de pigeon pour une obole.
Livre II, Fable XII
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