Un lièvre en son gîte songeait,
(Car que faire en un gîte, à moins que l'on ne songe?);
Dans un profond ennui ce lièvre se plongeait:
Cet animal est triste, et la crainte le ronge,
« Les gens de naturel
peureux
Sont, disait-il, bien
malheureux.
Ils ne sauraient manger morceau qui leur profite,
Jamais un plaisir pur; toujours assauts divers.
Voilà comme je vis : cette crainte maudite
M'empêche de dormir, sinon les yeux ouverts.
- Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle.
- Et la peur se
corrige-t-elle?
Je crois même qu'en bonne
foi
Les hommes ont peur comme
moi. »
Ainsi raisonnait notre
lièvre,
Et cependant. faisait le
guet..
Il était douteux,
inquiet. :
Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre.
Le mélancolique animal,
En rêvant. à cette
matière,
Entend un léger bruit: ce lui fut un signal
Pour s'enfuir devers sa
tanière.
Il s'en alla passer sur le bord d'un étang.
Grenouilles aussitôt de sauter dans les ondes;
Grenouilles de rentrer en leurs grottes profondes.
« Oh! dit-il, j'en fais
faire autant
Qu'on m'en fait faire! Ma
présence
Effraie aussi les gens! je mets l'alarme au camp!
Et d'où me vient cette
vaillance?
Comment? des animaux qui tremblent devant moi!
Je suis donc un foudre de
guerre!
Il n'est, je le vois bien, si poltron sur la terre
Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi. »
Livre II, Fable XIV
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