Jean de la Fontaine
Une fable au hasard


 
L'Ecrevisse et sa Fille

Les sages quelquefois, ainsi que l'écrevisse,
Marchent à reculons, tournent le dos au port.
C'est l'art des matelots: c'est aussi l'artifice
De ceux qui, pour couvrir quelque puissant effort,
Envisagent un point directement contraire,
Et font vers ce lieu-là courir leur adversaire.
Mon sujet est petit, cet accessoire est grand:
Je pourrais l'appliquer à certain conquérant
Qui tout seul déconcerte une ligue à cent têtes.
Ce qu'il n'entreprend pas, et ce qu'il entreprend,
N'est d'abord qu'un secret, puis devient des conquêtes.
En vain l'on a les yeux sur ce qu'il veut cacher,
Ce sont arrêts du sort qu'on ne peut empêcher:
Le torrent à la fin devient insurmontable.
Cent dieux sont impuissants contre un seul Jupiter.
Louis et le destin me semblent de concert
Entraîner l'univers. Venons à notre fable.
Mère écrevisse un jour à sa fille disait:
« Comme tu vas, bon Dieu! ne peux-tu marcher droit?
- Et comme vous allez vous-même! dit la fille:
Puis-je autrement marcher que ne fait ma famille?
Veut-on que j'aille droit quand on y va tortu? »
          Elle avait raison: la vertu
          De tout exemple domestique
          Est universelles, et s'applique
En bien, en mal, en tout; fait des sages, des sots;
Beaucoup plus de ceux-ci. Quant à tourner le dos
A son but, j'y reviens; la méthode en est bonne,
          Surtout au métier de Bellone :
          Mais il faut le faire à propos.

Livre XII, Fable X

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