Jean de la Fontaine
Une fable au hasard


 
Les deux Chèvres

Dès que les chèvres ont brouté,
          Certain esprit de liberté
Leur fait chercher fortune : elles vont en voyage
          Vers les endroits du pâturage
          Les moins fréquentés des humains:
Là, s'il est quelque lieu sans route et sans chemins,
Un rocher, quelque mont pendant en précipices,
C'est où ces dames vont promener leurs caprices.
Rien ne peut arrêter cet animal grimpant.
          Deux chèvres donc s'émancipant,
          Toutes deux ayant patte blanche, .
Quittèrent les bas prés, chacune de sa part.
L'une vers l'autre allait pour quelque bon hasard.
Un ruisseau se rencontre, et pour pont une planche.
Deux belettes à peine auraient passé de front
                     Sur ce pont?
D'ailleurs, l'onde rapide et le ruisseau profond
Devaient faire trembler de peur ces amazones.
Malgré tant de dangers, l'une de ces personnes
Pose un pied sur la planche, et l'autre en fait autant.
Je m'imagine voir, avec Louis le Grand,
          Philippe Quatre qui s'avance
          Dans l'île de la Conférence.
          Ainsi s'avançaient pas à pas,
          Nez à nez, nos aventurières,
          Qui, toutes deux étant fort fières,
Vers le milieu du pont ne se voulurent pas
L'une à l'autre céder. Elles avaient la gloire
De compter dans leur race, à ce que dit l'histoire,
L'une, certaine chèvre, au mérite sans pair,
Dont Polyphème fit présent à Galatée;
          Et l'autre, la chèvre Amalthée,
          Par qui fut nourri Jupiter.
Faute de reculer, leur chute fut commune.
          Toutes deux tombèrent dans l'eau.
          Cet accident n'est pas nouveau
          Dans le chemin de la Fortune.

Livre XII, Fable IV

envoyez vos commentaires pas encore de commentaire
version à imprimer dans une nouvelle fenêtre





   ·   contact  · les arbres · European trees · voyages · 1500chansons · 1600 poèmes
Cette page a mis 0.02 s. à s'exécuter -
Conception© 2006 - www.lespassions.fr