Jean de la Fontaine
Une fable au hasard


 
La Forêt et le Bûcheron

Un bûcheron venait de rompre ou d'égarer
Le bois dont il avait emmanché sa cognée.
Cette perte ne put sitôt se réparer
Que la forêt n'en fût quelque temps épargnée.
          L'homme enfin la prie humblement
          De lui laisser tout doucement
          Emporter une unique branche,
          Afin de faire un autre manche:
« Il irait employer ailleurs son gagne-pain;
Il laisserait debout maint chêne et maint sapin
Dont chacun respectait la vieillesse et les charmes. »
L'innocente forêt lui fournit d'autres armes.
Elle en eut du regret. Il emmanche son fer:
          Le misérable ne s'en sert
          Qu'à dépouiller sa bienfaitrice
          De ses principaux ornements.
          Elle gémit! à tous moments :
          Son propre don fait son supplice.
Voilà le train du monde et de ses sectateurs :
On s'y sert du bienfait contre les bienfaiteurs.
Je suis las d'en parler. Mais que de doux ombrages
          Soient exposés à ces outrages,
          Qui ne se plaindrait là-dessus!
Hélas! j'ai beau crier et me rendre incommode,
          L'ingratitude et les abus
          N'en seront pas moins à la mode.

Livre XII, Fable XVI

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