Quatre chercheurs de nouveaux mondes,
Presque nus échappés à la fureur
des ondes,
Un trafiquant, un noble, un pâtre, un fils de roi,
Réduits au
sort de Bélisaire,
Demandaient aux passants de quoi
Pouvoir soulager leur
misère.
De raconter quel sort les avait assemblés,
Quoique sous divers points
tous quatre ils fussent nés,
C'est un récit de longue haleine.
Ils s'assirent enfin au bord d'une fontaine:
Là le conseil se tint entre les pauvres gens.
Le prince s'étendit sur le malheur des grands.
Le pâtre fut d'avis qu'éloignant la pensée
De leur aventure passée,
Chacun fît de son mieux, et s'appliquât au soin
De pourvoir au commun
besoin.
« La plainte, ajouta-t-il, guérit-elle son homme?
Travaillons : c'est de quoi nous mener jusqu'à Rome. »
Un pâtre ainsi
parler! Ainsi parler; croit-on
Que le Ciel n'ait donné qu'aux têtes couronnées
De l'esprit et de la
raison;
Et que de tout berger, comme de tout mouton,
Les connaissances soient
bornées?
L'avis de celui-ci fut d'abord trouvé bon
Par les trois échoués aux
bords de l'Amérique.
L'un (c'était le marchand) savait l'arithmétique
« A tant par mois,
dit-il, j'en donnerai leçon.
- J'enseignerai la politique »,
Reprit le fils de roi. Le noble
poursuivit :
« Moi, je sais le blason; j'en veux tenir école. »
Comme si, devers
l'Inde, on eût eu dans l'esprit
La sotte vanité de ce jargon frivole!
Le pâtre dit: « Amis, vous parlez bien; mais quoi?
Le mois a trente jours: jusqu'à cette échéance
Jeûnerons-nous, par
votre foi?
Vous me donnez une espérance
Belle, mais éloignée; et cependant j'ai
faim.
Qui pourvoira de nous au dîner de demain?
Ou plutôt sur quelle assurance
Fondez-vous, dites-moi, le souper
d'aujourd'hui?
Avant tout autre, c'est celui
Dont il s'agit. Votre science
Est courte
là-dessus: ma main y suppléera.
« A ces mots, le pâtre
s'en va
Dans un
bois: il y fit des fagots, dont la vente
Pendant cette journée et pendant
la suivante,
Empêcha qu'un long jeûne à la fin ne fit tant
Qu'ils
allassent là-bas exercer leur talent.
Je conclus de cette aventure
Qu'il ne faut pas tant d'art pour conserver
ses jours;
Et grâce aux dons de la nature,
La main est le plus sûr et le plus prompt
secours.
Livre X, Fable XV
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